Critique
L\’inceste? Un cauchemar
Saisissant comme un même spectacle peut provoquer un double mouvement. D\’un côté, une exaspération certaine pour la thématique, de l\’autre, un vrai intérêt pour le traitement. C\’est le cas de En haut de l\’escalier, de Claudine Berthet, à l\’affiche du Pulloff, à Lausanne. A l\’instar de fréquentes émissions TV, d\’innombrables articles et de toute une littérature de l\’intimité depuis une dizaine d\’années, cette pièce aborde le thème de l\’inceste et des secrets de famille. Et n\’échappe pas aux clichés (reproduction de la violence, rapport confus à la réalité, dramatisation des relations) lorsqu\’elle se penche sur le sort de Thomas, enfant d\’une mère abusée. Cela dit, aussi bien l\’écriture par fragments que la mise en scène d\’Anne-Cécile Moser, axée sur un onirisme troublant, parviennent à sublimer ce côté rengaine contemporaine. Grâce aussi aux comédiens qui se donnent entièrement.
L\’appartement de Thomas (Vincent Bonillo) est bien rangé. Mais son intimité est, elle, drôlement chamboulée. C\’est que Thomas a vu, ou cru voir, lorsqu\’il était petit, son grand-père se livrer sur sa mère à des jeux interdits. Et lorsque cette maman, éternelle petite fille, a fini par s\’en aller – suicide, sans doute -, le drame s\’est encore épaissi. Alors, il doit jouer et rejouer avec son amie (Julie Cloux) les scènes malsaines, de violence ou de séduction, pour tirer le mystère au clair. De courtes séquences animales où le couple se confronte à la manière de danses tribales. Le tout entrecoupé des apparitions magiques de la mère (Anne-Schlomit Deonna)…
Tout au long de ce chassé-croisé, l\’écriture fragmentaire de Claudine Berthet traduit bien la crise de ces adultes-enfants. De même, les témoignages doublés où le même épisode est raconté simultanément, à deux voix, par la mère et Thomas. Quant à la mise en scène, elle cherche et trouve du côté du rêve un filtre à cette dure réalité. Souvent, des projections tournantes défilent sur les personnages et c\’est le vertige du secret qui est finement pointé.
Ainsi, l\’argument pèse son poids de refrain contemporain, mais le théâtre s\’en sort bien.
Marie-Pierre Genecand