Drama étymologiquement exprime :
- action (acter) qui renvoie à la « scène »
- faire
- par extension bouger, se mettre en mouvement (avancer, reculer)
- se déplacer : par rapport à quelque chose
- en changeant de place, modifier son point de vue par rapport à quelque chose
- en s’éloignant, en s’approchant, prendre de la distance, par rapport à quelque chose
Psychothérapie étymologiquement exprime : cure et âme, esprit, signifiant littéralement : thérapie par la psyché.
Drama et psychothérapie
La dramathérapie est une thérapie, en lien avec les professions de la santé, elle est non médicale et s’occupe des soins psychologiques des personnes. Elle permet une démarche personnelle visant à approfondir la connaissance de soi et à dénouer les problématiques inconscientes par le biais de l’expression créative et à travers la création artistique.
Drama et précurseurs
Jacob Moreno ( 1889 – 1974,) médecin analyste, pharmacoliste, footballeur et éducateur américain d’origine ukrainienne a fondé entre autres le psychodrame en 1930. Il est l’un des pionniers de la psychothérapie de groupe et sans conteste le précurseur du théâtre thérapeutique. Influencé par le grand théoricien et praticien de théâtre Constantin Stanislavski, il mettra en lumière l’importance des relations interpersonnelles et de l’affectivité et par conséquent tout le jeu d’émotion qui en découle : « qui gouverne tous nos actes, malgré les rationalisations et explications».
Suivront d’autres théoriciens et praticiens nourrissant de leurs pratique le théâtre à vocation thérapeutique dont entre autres : Augusto Boal (1931- 2009) écrivain, dramaturge, metteur en scène, théoricien, homme de théâtre, et homme politique brésilien contemporain. Il crée Le Théâtre de l’Opprimé. Jonathan Fox, new-yorkais formé à Harvard aux disciplines théâtrales, invente en 1975 le Théâtre Playback, théâtre résolument dynamique et contemporain sur les bases du rituel et de la tradition orale.
Drama et sources
Dans une approche intégrative, elle puise et assoit ses sources théoriques tant chez les praticiens et théoriciens du théâtre que parmi les psychologues humanistes (gestalt, psychothérapie corporelle intégrative, psychothérapie centrée sur la personne, psychothérapie centrée sur les émotions, approche narrative …).
Comme ses consœurs, elle invite moins à la découverte de la vérité de la personne qu’à l’édification d’un nouveau récit de vie lui permettant de revisiter ses origines depuis son présent de manière à créer une nouvelle approche de son existence. Donner voix à une histoire muette dite « alternative » qui jusqu’à présent a vécu dans l’ombre d’une histoire « dominante ».
Drama et théâtre
La dramathérapie est intimement liée à l’art dramatique, comme peut l’être l’art-thérapie aux arts-plastiques.
Grâce à une approche expérientielle basée sur le processus, l’enjeu d’une séance dramathérapeutique, qu’elle soit en individuel ou en groupe, est d’amener la personne, par le biais de l’imagination à « dramatiser », de façon délibérée ou non, ce qu’elle ne peut habituellement pas extérioriser.
Si « la réalité est ce dans quoi nous sommes et le réel dans ce que nous « essayons de construire » (voir Barthes), explorer ce « réel » dans un espace de fiction nourri par une pensée analogique (correspondance involontaire), permet de reconstruire théâtralement le réel dans une mise à distance dynamique.
Qu’est-ce le théâtre offre de différent à l’espace thérapeutique?
Si le théâtre est à un art dont la structure même est de « mettre en relation » de façon interactive, complémentaire et nécessaire des éléments qui ne prennent sens qu’au sein de cette relation, on comprend combien la dramathérapie en tant que psychothérapie, peut porter l’accent sur le rapport entre soi et ses multiples soi, entre soi et l’autre, soi et les autres, soit les représentations intériorisées : père, mère, fratries, ancêtres, partenaires durables, enfants, etc.
« Jouer » dans un espace délimité c’est mettre à distance, mettre en « forme » une réalité intérieure. Externalisée, celle-ci se retrouve validée et peut à nouveau de manière dialectique retrouver une place dans le récit de vie, transformée.
En explorant dans cet espace « dramatique » spécifique au théâtre (dit espace potentiel chez Donald Winnicot) des événements traumatiques, complexes et douloureux, la mise en jeu ouvre le champ aux émotions permettant de laisser le corps exprimer ce que la tête a « oublié », refoulé…
Que ce soit par le biais de la fiction (textes et personnages de théâtre ou autres, contes, etc.) ou directement avec la matière autobiographique, le travail sur soi, par un jeu de résonnance, est toujours profond et authentique, le client se saisit de ses émotions au lieu de s’expliquer les choses. Le corps précède la parole.
Drama et contre-indication
En mettant l’accent sur le « jeu », réminiscence en lien avec l’enfance, de manière à ce que la parole naisse du corps, la dramathérapie, tout en y respectant les symptômes, encourage la reconnaissance de l’altérité à partir de son propre corps.
Quel que soit la personne ou la population, le dramathérapeute tente de saisir « délicatement » toute manifestation corporelle, vocal, comme une proposition, une tentative pour exprimer son soi profond. Cette tentative mise en en exergue dans un processus dramaturgique et artistique se retrouve transformée et à nouveau intégrée dans un tissu relationnel, au sein d’une séance, pour une présentation, lors d’un spectacle. Toute expression de soi n’est-elle pas un désir de communiquer, d’entrer en relation.
Le théâtre invite à la transformation : banal un geste se transforme sur une scène en un geste unique, une conversation un texte dramatique, une suite de mouvements, une chorégraphie. Ces bribes de réalités tout en se chargeant d’une nouvelle énergie, soudainement intègrent un récit unique où chacune de ces bribes prend du sens, se signifie dans un « tout » complexe, dans un contenant sociétal quel qu’il soit, famille, couple, travail, etc.
Selon les pathologies il est important de distinguer le réel du symbolique par des rituels clairs permettant de bien différencier les deux espaces, intérieurs et extérieurs. L’élaboration d’une création permet une réappropriation active d’un corps en proie à ses pulsions : la fiction ici invite à la distinction grâce au protocole intrinsèque du théâtre dont les rôles sont bien définis entre acteur, spectateur, metteur en scène.
Si l’accès au symbolique est difficile, la dramathérapie offre des outils qui permettent par le jeu, et donc par la métaphore, de réactiver ce « muscle » résilient.
Drama et pratique
Comme le dit Jean-Pierre Klein : « Tout l’enjeu de la dramathérapie est de parvenir, dans l’immédiateté du jeu, à la traduction par les actes, les paroles et le corps, des souffrances intimes d’ordinaires inexprimable. »
La dramathérapie offre deux entrées dans un but commun : la création (actes et/ou résultat) accompagnée dont l’évolution transformera les personnes. L’une s’adresse principalement au travail au sein d’un groupe, l’autre prend toute son ampleur dans un travail individuel.
L’une s’appuie sur la création artistique et son processus intrinsèque. Processus qui ne passe pas forcément d’ailleurs par un dénouement dont l’objectif serait de faire prendre conscience tout particulièrement dans un travail en groupe.
L’autre plus psychothérapeutique est axée principalement sur le jeu, « acter », et ce qu’il implique comme remise en « je » dans le corps, entrelacs d’émotions au sein de résonnances passées et présentes sans se traduire nécessairement dans une création dite « artistique ». Dans ce contexte c’est l’expression créative qui prédomine (en individuel et/ou au sein d’un petit groupe)
Deux concepts fondamentaux sous-tendent toute action dramathérapeutique
1.La Réalité Dramatique
Quels que soient les outils qu’utilise le/la praticien/ne, contes, rôles, pièces de théâtre, etc., sans ce concept il n’est pas de théâtre, il en est en le principe même !
« Il implique une entrée tangible dans un monde imaginaire » (S.Pendzik). « En donnant formes concrètes aux contenus virtuels, la réalité dramatique autorise ces contenus (dont certains ne sont pas peut-être pas acceptés ouvertement ou nommés) à avoir une place légitime dans le monde des choses concrètes» (S.Pendzik).
2.La Distance Esthétique
Elle repose sur la distance optimale entre une personne et ses sentiments. Le propre du travail de l’acteur ! Dans un travail dramathérapeutique le/la client/e, le groupe, sont invités à se re-situer par rapport à un matériel de vie dont les émotions et sentiments sont ou refoulés (sur-distance) ou envahissants, (sous-distance). Explorer ce matériel permet de le ré-intégrer autrement « dans un équilibre entre soi comme sujet et soi comme objet » (R.Landy).
Comment structurer un travail au sein d’un groupe
Comme exprimé plus haut, la dramathérapie, comme le théâtre au sein d’un groupe, est un outil à multiple facettes riche de sa dynamique.
Le modèle du Dr. Sue Jennings (dramathérapeute anglaise et pionnière), permet de structurer une intervention dramathérapeutique selon trois entrées :
Entrée 1 : le Créatif / Expressif met l’accent sur l’aspect communautaire du partage à travers la créativité avec d’autres
Entrée 2 : le Pédagogique, met l’accent sur l’acquisition de compétences par le biais de la « dramatisation », spécifiquement dans l’exploration des rôles au sein du corps social
Entrée 3 : le Thérapeutique, met l’accent sur les thèmes latents et inconscients sous l’angle psychothérapeutique privilégiant la mise en jeu dramatique et dans un 2ème temps la mise en forme verbale de ce qui s’est externalisé.
Pour Renée Emunah (dramathérapeute américaine et pionnière), le groupe se structure selon « 5 phases » :
- Phase 1 : « Jouer-le jeu dramatique »
Plaisir confiance permission de jouer
Faire connaissance
- Phase 2 : « Les scènes »
Petits jeux – improvisations
- Phase 3 : « Jeux de rôles »
Matériel scénique – contes – fiction
Donner une situation et inviter le client à « se jouer à l’intérieur »
- Phase 4 : « Actes culminants »
Psychodrames – couches profondes – ou fictions – symboliques fictionnels ou réels
Les thèmes du groupe
- Phase 5 : « Rituel dramatique »
Représentation
Le modèle fondateur développemental de Sue Jennings EPR (Embodiment ou incarnation, Projection et Rôle) est un modèle inspiré de son observation de la progression du jeu dramatique de la naissance à sept ans. Il s’appuie sur la théorie de l’attachement de John Bowlby, ainsi que sur l’espace potentiel et objet transitionnel de Donald Winnicot.
Ce modèle offre un outil d’évaluation notable.
Le modèle EPR :
- De 0 à 12 mois, l’enfant « joue d’abord par des formes physiques et incorporées »
- De 1 à 3 ans, il « explore le monde des objets et des substances autour de lui »
- De 3 à 6 ans, l’enfant « élargit le jeu dans des formes interpersonnelles et par les rôles »
Pour le déroulement d’une séance, qu’elle soit en groupe ou en individuel, ce modèle propose trois entrées dans « la réalité dramatique », Embodiment, Projection, Rôle.
Didier Anzieu, psychanaliste, propose les 5 phases du travail créateur qui permet de structurer les deux approches dramathérapeutique, artistique et créative,
- Le saisissement créateur, représentation archaïque
- Dans un saisi perceptif, prendre conscience du matériel inconscient et le fixer dans le préconscient
- Transposition du noyau archaïque dans un matériau et selon un code, matériel mis en relation avec d’autres données de la réalité intérieure, structuration de ce matériel et entrée dans le monde symbolique, enjeu créativité-création
- Travail de style, composition sous les auspices du sur moi
- Exposer son oeuvre au public
Les moteurs spécifiques à la dramathérapie
(source Jean-Pierre Klein in Théâtre et dramathérapie éditions Puf)
1. La catharsis
« Toute méthode thérapeutique qui vise à obtenir une situation de crise émotionnelle telle que cette manifestation critique provoque une solution du problème que la crise met en scène » sur http://www.larousse.fr
Le patient joue les deux rôles, acteurs et spectateurs de lui-même et des autres.
2. Multiplicité identitaire
Nous avons tous une coexistence de structures mentales. La dramathérapie est dans le mouvement, insiste sur l’ambivalence et l’avancée simultanée de tous ces « moi »
Elle englobe sans unifier. Elle permet de voir, d’entendre, de goûter, de sentir toutes ces différences. Différences de soi, différence en soi, en relation avec les mondes changeants d’un univers en perpétuelles constructions et déconstructions.
3. Ambivalences constitutives
Le théâtre est condensation, intensité, symbolisation énigmatique, transposition dans une parole et une gestualité différentes de celles d’un discours didactique et simplificateur.
4. Le détour comme approche du réel
Construire théâtralement le réel, appréhender le monde sur le mode d’une pensée analogique.
5. La vacillation entre la réalité et le réel et d’autres réels
Le théâtre en thérapie est relativisation du réel : il expérimente d’autres réel que celui qu’on se construit habituellement.
6. Le presque-vrai
Ou le mentir « vrai »
7. La fiction pour se dire
La force de la fiction est qu’à l’impression produite par la création des traits méconnus de soi, des problématiques enfouies peuvent ou non se révéler.
8. De l’indicible à l’ineffable
Les mots habités dépassent l’indicible pour ouvrir à l’ineffable qui s’élève vers l’au-dela des mots….
9. Le dédoublement du joueur
La dramathérapie repose sur les sensations ressenties dans le jeu, le rapport aux personnages et à ceux des autres, aux positions corporelles, aux jeux de voix qui n’ont pas forcément leur place dans l’existence ordinaire des personnes.
On s’étonne de ces capacités à paraître ce que l’on n’est pas ou plutôt ce qu’on ne croit pas être.
Tenir plusieurs actantiels : acteur, spectateur, auteur, metteur en scène de l’autre et de soi…
10. Relationnel au théâtre, relationnel dans la vie
11. Le spéculaire décalé : copier pour jouer
12. La théâtralité comme qualité primordiale
13. Les bases de l’art dramatique
14. L’entre-deux-noirs
Les coulisses lieu de l’invisible, du « caché », sont essentielles. Le théâtre ne révèle pas seulement le peu de réalité de notre quotidien, ne figure pas que nos projections fictives, mais il dévoile l’incertitude vacillante de nos rêves, voire de nous-même.
Drama en pratique
En séance individuelle
Les séances sont structurées et ritualisées de manière à contenir la prise de risque de chacun.
- Une entrée en matière verbale
- Ensuite une entrée dans « la réalité dramatique », la dramatisation
- La sortie du jeu
- Un échange sur ce qui vient d’être vécu et comment le mettre en lien avec sa propre réalité actuelle, passé et futur.
En séance de groupe
Le processus d’une séance mettra l’accent sur les aspects interpersonnels dans les relations in vivo soit/et :
- au sein du groupe lui-même et de sa synergie
- au sein du groupe autour d’un projet en commun
- directement au sein de la fiction entre les personnages
- au cœur de chacun, avec soi-même parmi le groupe
Le thérapeute est à l’écoute du client, de ses besoins, en « résonnances ». Il propose une exploration, un partage où les outils créatifs deviennent son langage :
- Multiples outils ou/et divers entrées créatives : dessins, bricolages, collages, écriture, récit de vie, récit fictif, etc…textes multiples, conte, théâtre poème, rôles, personnages, masques…
La Drama c’est :
Emotions, symboles, métaphores, jouer, imagination, corporalité, faire des voyages, donner une voix, dire, écrire des mots-maux, raconter, éprouver du plaisir, sensorialité, catharsis, sentiment de liberté, s’inscrire dans une généalogie réelle ou/et imaginaire, relations interpersonnelle, empathie, intersubjectivité, décalage, altérité, dynamisme, sentiment d’intégration, être en mouvement, être acteur, être spectateur, être auteur, être metteur en scène, vivre et expérimenter sa multiplicité identitaire, expérimenter un univers en perpétuelles constructions et déconstructions, au cœur de la créativité et de son processus, accepter ses ambivalences constitutives, « je suis pour de faux ou je joue le faux pour de vrai », choisir la fiction pour se dire, …
Anne-Cécile Moser
« La vraie culture » comme « moyen raffiné de comprendre et d’exercer la vie »
Antonin Artaud dans Le théâtre et son double